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Mais déjà le général de brigade d'artillerie Senarmont, officier d'un grand mérite, avait placé ses trente pièces d'artillerie et avait commencé un feu très-vif qui avait fait brèche au mur du Retiro. Des voltigeurs de la division Villatte ayant passé la brèche, leur bataillon les suivit, et en moins d'une heure les hommes qui défendaient le Retiro furent culbutés. Le palais du Retiro, les postes importants de l'observatoire, de la manufacture de porcelaine, de la grande caserne et de l'hôtel de Medina Celi, et tous les débouchés qui avaient été mis en défense, furent emportés par nos troupes.
D'un autre côté, vingt pièces de canon de la Garde jetaient des obus et attiraient l'attention de l'ennemi sur une fausse attaque.
On se serait peint difficilement le désordre qui régnait dans Madrid, si un grand nombre de prisonniers arrivant successivement n'avaient rendu compte des scènes épouvantables et de tout genre dont cette capitale offrait le spectacle. On avait coupé les rues , crénelé les maisons des barricades de balles de coton et de laine avaient été formées les fenêtres étaient matelassées. Ceux des habitants qui désespéraient du succès d'une aveugle résistance fuyaient dans les campagnes. D'autres, qui avaient conservé quelque raison, et qui aimaient mieux se montrer au sein de leurs propriétés devant un ennemi généreux que de les abandonner au pillage de leurs propres concitoyens, demandaient qu'on ne s'exposa point à un assaut. Ceux qui étaient étrangers à la ville ou qui n'avaient rien à perdre voulaient qu'on se défendît à toute outrance, accusaient les troupes de ligne de trahison et les obligeaient à continuer le feu.
L'ennemi avait plus de cent pièces de canon en batterie ; un nombre plus considérable de pièces de 2 et de 3 avaient été déterrées, tirées des caves et ficelées sur des charrettes, équipage grotesque qui seul aurait prouvé le délire d'un peuple abandonné à lui-même. Mais tous moyens de défense étaient devenus inutiles. Étant maître du Retiro , on l'est de Madrid. L'Empereur mit tous ses soins à empêcher qu'on entrât de maison en maison. C'en était fait de la ville si beaucoup de troupes avaient été employées. On ne laissa avancer que quelques compagnies de voltigeurs, que l'Empereur se refusa toujours à faire soutenir.
A onze heures, le prince de Neuchâtel écrivit la lettre ci-jointe; Sa Majesté ordonna aussitôt que le feu cessât sur tous les points.
A cinq heures, le général Moria, l'un des membres de la junte militaire, et don Bernardo Yriarte, envoyé de la ville, se rendirent dans la tente de Son Altesse Sérénissime le major général. Ils firent connaître que tous les hommes bien pensants ne doutaient pas que la ville ne fût sans ressources, et que la continuation de la défense était un véritable délire, mais que les dernières classes du peuple et que la foule des hommes étrangers à Madrid voulaient se défendre et croyaient le pouvoir. Ils demandaient la journée du 4 pour faire entendre raison au peuple. Le prince major général les présenta à Sa Majesté l'Empereur et Roi, qui leur dit :
"Vous employez en vain le nom du peuple. Si vous ne pouvez parvenir à le calmer, c'est parce que vous-mêmes vous l'avez excité, vous l'avez égaré par des mensonges. Rassemblez les curés, les chefs des couvents, les alcades, les principaux propriétaires, et que, d'ici à six heures du matin, la ville se rende, ou elle aura cessé d'exister. Je ne veux ni ne dois retirer mes troupes. Vous avez massacré les malheureux prisonniers francais qui étaient tombés entre vos mains. Vous avez, il y a peu de jours, laissé trainer et mettre à mort , dans les rues , deux domestiques de l'ambassadeur de Russie, parce qu'ils étaient nés Francais. L'inhabileté et la lâcheté d'un général avaient mis en vos mains des troupes qui avaient capitulé sur le champ de bataille, et la capitulation a été violée. Vous, Monsieur Moria, quelle lettre avez-vous écrite à ce général ? Il vous convenait bien de parler de pillage, vous qui, étant entré en Roussillon, avez enlevé toutes les femmes et les avez partagées comme un butin entre vos soldats ! Quel droit aviez-vous d'ailleurs de tenir un pareil langage ? La capitulation vous l'interdisait. Voyez quelle a été la conduite des Anglais, qui sont bien loin de se piquer d'être rigides observateurs du droit des nations ; ils se sont plaints de la convention du Portugal, mais ils l'ont exécutée. Violer les traités militaires, c'est renoncer à toute civilisation , c'est se mettre sur la même ligne que les Bédouins du désert. Comment donc osez-vous demander une capitulation, vous qui avez violé celle de Bailen ? Voilà comme l'injustice et la mauvaise foi tournent toujours au préjudice de ceux qui s'en sont rendus coupables. J'avais une flotte à Cadix ; elle était l'alliée de l'Espagne, et vous avez dirigé contre elle les mortiers de la ville où vous commandiez. J'avais une armée espagnole dans mes rangs ; j'ai mieux aimé la voir passer sur les vaisseaux anglais et être obligé de la précipiter du haut des rochers d'Espinosa, que de la désarmer. J'ai préféré avoir 1,000 ennemis de plus à combattre que de manquer à la bonne foi et à l'honneur. Retournez à Madrid. Je vous donne jusqu'à demain six heures du matin. Revenez alors si vous n'avez à me parler du peuple que pour m'apprendre qu'il s'est soumis. Sinon, vous et vos troupes, vous serez tous passés par les armes."